jeudi, janvier 23, 2020

Quelle complémentaire santé (appelée communément mutuelle) à la retraite ?

La meilleure complémentaire santé à la retraite est l'auto-assurance

Au moment de la retraite, les cotisations à la complémentaire santé "responsable" (souscrite par 96% des français auprès de compagnies d'assurance, de mutuelles ou de caisses de retraite et appelée communément "mutuelle"), ne bénéficient plus de la déduction fiscale ni de l'aide de l'employeur et ne sont plus obligatoires. Ce qui fait que le coût réel, après impôts, supporté par un jeune retraité pour payer sa "mutuelle" est multiplié par 3 au minimum au moment de partir à la retraite.
  • Un salarié ne paye que la moitié des cotisations environ, car le reste est payé par l'employeur et par la déduction fiscale des cotisations salariées. Et au moment de la retraite, le retraité peut conserver la même mutuelle, mais avec une cotisation augmentant de 50% qu'il doit payer à 100% sans déduction fiscale.
De nombreux articles de presse comme celui-ci et comme le numéro d'octobre 2015 de la revue "mieux vivre votre argent" suggèrent très fortement que l'auto-assurance est la meilleure solution, car le vrai risque est couvert par l'assurance maladie obligatoire qui coûte 1% de la retraite..C'est à dire qu'il s'agit d'arrêter la mutuelle et de disposer en permanence de 3 à 5 ans de cotisations en liquidité rapidement disponible.
Pour l'assurance incendie, l'assurance responsabilité civile , l'assurance maladie obligatoire couvrant l'hôpital et les maladies graves, l'assuré peut disposer de statistiques et sait qu'un cas grave pouvant coûter des centaines de milliers d'€ sera bien couvert. Ainsi, une dialyse coûte 90 000€ par an à la Sécurité Sociale et rien à la mutuelle. Rien de tel pour les "mutuelles responsables" et aucune statistique ne permet de mesurer le risque couvert. Et les mutuelles ne prétendent pas qu'elles couvrent de gros risques financiers et refusent de fournir des statistiques qu'elles auraient la possibilité de fournir. Pourquoi la Sécurité Sociale mesure-t-elle le risque couvert, et pas les mutuelles ? Pourquoi les députés ont-ils voté la mise en œuvre d'une garantie minimale pour les mutuelles sans vérifier le risque couvert sur 10 ans ?
Certaines années exceptionnelles, une "mutuelle" peut être amenée à rembourser 3 à 5 fois le montant des cotisations, mais cela reste exceptionnel, ne se reproduit pas les années suivantes. Dans cet article, je vais essayer de montrer à l'aide des statistiques publiques de l'assurance maladie que, selon toute vraisemblance, une "mutuelle" sur une durée de 10 ans :
  1. Permet d'économiser de l'ordre de 20 € par mois en frais de santé dans moins de 1% des cas
  2. Coûte plus cher que les cotisations versées dans 99% des cas, c'est à dire que la somme des remboursements est toujours inférieure aux cotisations versées dans 99% des cas et très légèrement supérieure dans 1% des cas.
  3. Ne couvre pas de très grosses dépenses sauf pour les mutuelles, fort rares, qui couvrent bien l'hôpital américain de Paris, une des très très rare clinique non conventionnée en France. Et encore, une telle mutuelle plafonne les remboursements à 30 000 € par an pour une cotisation de 358€ par mois entre 61 et 65 ans et de 509€ par mois de 66 à 70 ans.
  4. Ainsi, pour les lunettes, une mutuelle rembourse en moyenne 5€ par mois pour un retraité qui change de lunette tous les 4 ans. Et compte tenu des taxes et des frais de gestion des mutuelles, le remboursement des lunettes par les mutuelles peut-être assimilé à un crédit à la consommation au taux de 30%.
  5. De façon générale, les complémentaires santé des retraités s'apparentent, selon moi, à un crédit à la consommation au taux de 30%
Les principales données publiques sur lesquelles je m’appuie montrent :
  • Il y a 1% des malades qui ont chaque année un reste à charge moyen mensuel (après remboursement sécurité sociale) supérieur à 271€, mais sur 6 ans il y a 1% des malades qui ont un reste à charge moyen mensuel supérieur à 182€, car ce ne sont pas les mêmes malades qui ont un reste à charge élevé chaque année. Et sur 20 ans, le risque non couvert par l'assurance maladie obligatoire est encore bien inférieur.
  • Le reste à charge est en moyenne pris en charge à 60% par les mutuelles, et le reste est payé par l'assuré.
  • Mais dans les cas les plus coûteux ci-dessus, aucune donnée ne permet de connaître la part prise en charge par une mutuelle de base, alors que les données publiques disponibles auraient permis de le calculer. Les députés, qui ont voté le contenu de la complémentaire santé minimale pour bénéficier du label "responsable", se sont bien gardés de faire cette vérification.
Pourquoi l'auto assurance est-elle préférable à la complémentaire santé pour un retraité qui ne dispose pas d'aide comme les actifs, et qui ne peut pas déduire les cotisations de son revenu imposable, et qui dispose de liquidité correspondant à 3 ans de cotisations mutuelle :
  1. Car le vrai risque est géré par la sécurité sociale et que la complémentaire ne gère que de la trésorerie à un coût de 35% annuel prélevé sur les cotisations versées (13,27% de taxe et 20% de frais de gestion en moyenne). Ainsi, l’hémodialyse coûte 89 000€ par an et par malade à la Sécurité Sociale pour chacun des 31 000 malades, et rien aux mutuelles.
  2. Par ce que rien ne prouve que l'auto-assurance présente un risque sur la durée...bien au contraire.
  3. Car il n'existe aucun cas documenté d'une personne qui aurait été remboursée plus que les cotisations versées sur une période de 10 ans.
  4. Car les mutuelles ne remboursent en moyenne que 60% à 65% des cotisations versées.
  5. Car, en moyenne, 76% des frais de santé, sont remboursés par la sécurité sociale, 13,8% par les complémentaires santé et 8,8% restent à la charge des ménages.
  6. Avec l'auto-assurance, les retraités économiseraient en moyenne 15000€ sur la durée de la retraite, qu'ils pourraient utiliser pour gérer la dépendance et/ou les 8,8% de dépenses qui ne sont remboursées ni par la sécurité sociale, ni par les mutuelles.
Pour plus de détail sur le risque, J'ai présenté ici un argumentaire beaucoup plus détaillé avec de nombreuses références à des études publiques évaluant les coûts de la santé et la répartition entre les Sécurité Sociale, les mutuelles et les ménages.
Les complémentaires santé, qui possèdent des statistiques sur un éventuel risque à ne pas prendre de mutuelle, ne communiquent pas sur un tel risque en fournissant des chiffres et des statistiques.
Elles pourraient communiquer sur la probabilité qu'un assuré soit remboursé sur 10 ans, une somme supérieure aux cotisations versées. Ce risque est à mon avis d'1% de chance d'économiser 20€ par mois sur 25 ans et 99% de chance de cotiser à perte sur 25 ans. Et je montre dans ce billet les raisons de cet avis qui m'a incité à supprimer ma mutuelle au moment de ma retraite il y a sept ans : Nous avons dépensé, ma femme et moi, 50€ par mois et par personne en frais de santé, non remboursés par la sécurité sociale, pendant les 7 ans suivant ma retraite. Et une partie de ces dépenses n'auraient pas été remboursées par une mutuelle
Les différents arguments des mutuelles sont :
  1. La sécurité sociale se désengage : faux, le pourcentage de prise en charge des soins par la sécurité sociale est stable à plus de 76% depuis plusieurs années et a même augmenté de 0,7% entre 2011 et 2014 (voir ici et ici). La couverture des mutuelles oscille très légèrement autour de 13,5% du coût des soins. Il y a effectivement désengagement de la sécu pour les petits bobos, mais pas sur l'hôpital ni sur les ALD (Affections de Longue Durées) prises en charge à 100% qui représentent les vrais risques et plus de 60% du budget de la sécurité sociale. La part des organismes complémentaires dans les dépenses de santé diminue légèrement en 2014 : voir Les dépenses de santé en 2014
  2. En 2015, la part des organismes complémentaires (mutuelles, institutions de prévoyance et sociétés d’assurances) diminue légèrement pour la deuxième année consécutive (-0,3 point en deux ans) et ne représente plus que 13,3 % de la dépense en 2015 http://drees.social-sante.gouv.fr/I....
  3. Les mutuelles se désengagent : vrai. Suite à un intense lobbying, les mutuelles ont obtenu la publication d'un décret le 18 novembre 2014, ayant pour but de diminuer le remboursement des lunettes et des dépassements d'honoraire : ici et ici. Mais, les cotisations n'ont pas baissé en conséquence.
  4. Les lunettes sont chères, mais pour un retraité qui change de lunette en moyenne tous les 4,45 ans, cela représente un remboursement de 5€ par mois pour la mutuelle - et ce remboursement lui a coûté 7€ par mois en moyenne. Voir ici. Les mutuelles avaient demandé un plafonnement drastique du remboursement des lunettes. Le lobbying des opticiens a limité le plafonnement. Voir ici.
  5. L'hôpital avec chambre individuelle : Pour 300 jours d'hôpital sur une durée de 25 ans (20€ par jour plus 40€ pour la chambre individuelle par exemple), cela représente un remboursement moyen de 60€ par mois pour la mutuelle, dont 40€ pour la chambre individuelle. Attention : en cas dépendance, seuls les soins sont pris en charge par la sécurité sociale et la mutuelle. Et encore, si vous êtes en EHPAD, la mutuelle ne paye rien pour les soins courants, ni pour les soins liés à l'ALD. Par ailleurs, on garde de moins en moins longtemps un malade en hôpital. Et si la chambre individuelle est obligatoire, elle n'est pas facturée. Enfin, il existe des mutuelles qui ne couvrent que l'hospitalisation pour un coût très inférieur aux mutuelles généralistes.
  6. Pendant les 30 premiers jours d'hospitalisation, il reste 20% à votre charge sauf si vous avez un acte de diagnostic (scanner ou autre) ou une intervention chirurgicale à plus de 120€. En pratique, cela ne concerne que des séjours d'observation de moins de 3/4 jours qui coûtent au plus 300€ par jour à la mutuelle. Je ne vois pas comment on peut rester 3 jours à l'hôpital sans acte coûtant plus de 120€.
  7. Les dépassements d'honoraire ne sont pas remboursés par la sécurité sociale et peuvent coûter plusieurs milliers d'Euros, surtout en chirurgie, en prothèses et implants dentaires, et en optique : Mais un malade n'a pas de gros dépassements chaque année, et ceux-ci sont loin d'être tous pris en charge par les mutuelles. Il reste ainsi en moyenne 8,8% des dépenses de santé qui restent à la charge des ménages. Ainsi, toutes les statistiques et données publiées ci-dessous et dans les liens publics tiennent compte des dépassements d'honoraire.
Les dépassements d'honoraire m'amènent à fournir les précisions suivantes :
  • Suite à un lobbying intense des mutuelles, le gouvernement a publié le Décret n° 2014-1374 du 18/11/14 qui plafonne le remboursement des dépassements d'honoraire (Article 2, §1 et §2)
  • Par le même décret, le gouvernement a plafonné le remboursement des lunettes dans son §3
  • Les prothèses dentaires sont en général très mal remboursées par les mutuelles et l'on n'a que 32 dents.
  • La conséquence est un plus grand reste à charge à cotisation constante https://www.lopinion.fr/edition/eco...
Dernier argument des mutuelles : le coût des soins augmente avec l'âge :
  1. Cette augmentation est partiellement liée au fait que 7 à 8% des frais de santé pendant toute la vie surviennent la dernière année de vie...et que plus on vieillit, plus la probabilité de mourir dans l'année augmente.
  2. Mais le coût pour les mutuelles augmente 4 fois moins vite avec l'âge que le coût des soins pris en charge par la sécu. Le coût pour la mutuelle diminue même à partir de 80 ans environ. La raison en est que les pathologies des personnes âgées sont plus souvent prises en charge à 100%.
  3. Comme le montre le rapport du "Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie : « Vieillissement, longévité et assurance maladie »" page 17 : "Le taux de couverture des dépenses par la Sécurité Sociale" s’améliore entre 55 et 80 ans, puis se stabilise". La lecture de cette étude permet de comprendre le risque couvert par la Sécurité Sociale en fonction de l'âge.
Mais le véritable argument pour l'auto-assurance provient des différentes statistiques publiques qui montrent que ne n'est pas toujours les mêmes malades qui ont un reste à charge élevé. Autrement dit, les frais de santé peuvent être élevés pour certaines pathologies, mais le reste à charge élevé une année est en règle générale compensé les années suivantes. Et le reste à charge n'est couvert en moyenne qu'aux deux tiers pas les mutuelles.
Analyse du RAC (Reste à Charge après remboursement de la sécurité sociale) sur 3 ans à partir de la page 52 du rapport 2013 du HCAAMqui n'est couvert que partiellement par la mutuelle
  • 5 % de la population ont un RAC cumulé sur la période 2008-2010 qui dépasse 4 200 €, soit un reste à charge moyen mensuel supérieur à 117€. Et leur reste à charge moyen mensuel est de 173€.
  • Pour 1 % de la population, le RAC dépasse 7 250 €. Soit soit un reste à charge moyen mensuel supérieur à 202€ par mois.
Enfin les comptes de santé 2014 publiés le 15 septembre 2015 présentent un éclairage nouveau en étudiant les dépenses de santé d'une cohorte représentative pendant 6 ans à partir de la page 141 : "Une analyse longitudinale (2008-2013) du reste à charge des ménages après remboursement par l’assurance maladie obligatoire".
Cela est intéressant, car si pendant une ou deux années, une mutuelle peut rembourser une somme supérieure aux dépenses engagées, rien ne prouve que cela soit le cas sur la durée. Or l'intérêt d'une mutuelle ne peut se mesurer que sur la durée de la retraite. L'étude ne concerne que l'analyse du reste à charge (RAC) après remboursement par l'Assurance Maladie Obligatoire (AMO). Il aurait été intéressant de connaitre la partie de ce reste charge remboursé par les mutuelles. Mais comme l'indique pudiquement le rapport page 145 :"Par ailleurs, les données de RAC après assurance maladie complémentaire (AMC) ne sont pas disponibles". Mais l'analyse aurait pu calculer le reste à charge après 3 contrats type de complémentaire santé (contrat minimum prévu par la loi, contrat moyen et haut de gamme)
  • Le RAC annuel est supérieur à 3 250 euros dans 1 % des cas en 2009, avant intervention des organismes complémentaires (page 131). Soit un RAC mensuel moyen supérieur à 271€
  • Le RAC annuel moyen est supérieur à 2 188 euros dans 1 % des cas de 2008 à 2013, avant intervention des organismes complémentaires. Soit un RAC mensuel moyen supérieur à 182€ sur 6 ans.
Cette baisse de reste à charge sur la durée est la conséquence, comme le démontre en détail le rapport, du fait qu'il y a une très faible corrélation entre un RAC élevé une année et la suivante. Autrement dit, il y a une très très faible probabilité d'avoir un reste à charge élevé pendant 25 ans de retraite. Autrement dit, l'auto-assurance fait sens sur 10 ans ou plus. Et ce d'autant plus que les mutuelles ne remboursent chaque année que 60% des cotisations versées.
__En synthèse, sur 6 ans, 1% des assurés ayant le RAC le plus élevé ont un RAC mensuel moyen supérieur à 182€ par mois après remboursement de l'AMO. Soit l'ordre de grandeur des mutuelles qui remboursent le mieux, compte tenu du fait qu'il y a toujours un reste à charge.__
Mais si on inclut les cotisations que l'on continue à verser pendant la maladie, on peut essayer d'estimer les dépenses de santé totales mensuelles pendant les périodes les plus aïgues.
  • Dans ces cas aigus sur 6 ans, on peut supposer qu'une mutuelle à 70€ par mois permette un remboursement de 50% du RAC. Soit une dépense de santé de 162€ mensuelle pendant cette période (cotisation plus reste à charge).
  • Dans ces cas aigus sur 6 ans, on peut supposer qu'une mutuelle haut de gamme à 120€ par mois permette un remboursement de 80% du RAC. Soit une de dépense santé de 156,40€ mensuelle pendant cette période (cotisation plus reste à charge).
Ainsi les mutuelles pourraient avoir un impact faible pour les 1% de malades ayant le reste à charge le plus élevé pendant 6 ans : de l'ordre de 20€ d'économie pendant 6 ans après avoir cotisé pendant des années.. Et il n'est n'est pas du tout sûr que le prix de la mutuelle influe beaucoup sur le niveau de remboursement pour les 1% de malade ayant le reste à charge le plus élevé.
C'est le système des complémentaires qui est aberrant. En Alsace-Moselle, il y a une complémentaire santé obligatoire et identique pour tous qui ne coûte que 1,5% des salaires ou des retraites. Les frais de gestion sont de 0,5% des cotisations contre 20% ailleurs, car la gestion du système est sous-traitée à Sécurité Sociale à coût marginal. Les retraités (et les actifs) des industries électriques et gazières disposent d'un système très similaire sur toute la France. Les propositions de généraliser le système d'Alsace-Moselle ont été balayées un peu vite, car elles impliqueraient :
  1. La disparition des petites mutuelles. Mais un reclassement des personnels est tout à fait envisageable sans casse sociale.
  2. La disparition de la taxe de 13% sur les cotisations mutuelle, qui servent à financer la CMU-C. Mais les économies de 7 Milliards sur les cotisations mutuelles pourraient financer la CMU-C.
  3. Une augmentation des charges des salariés. En effet, en Alsace Moselle, les salariés payent la mutuelle obligatoire du système local 40% plus cher que les retraités en moyenne, alors que pour les mutuelles du reste de la France, c'est l'inverse : les retraités payent 40% de plus que les salariés, hors niche fiscale. Et en tenant compte des avantages fiscaux et sociaux, les salariés payent la mutuelle trois fois moins cher que les retraités.
  4. Voir "Mutuelle pour tous : le régime local d'Alsace Moselle est-il généralisable ?".